L'apnéiste Pierrick Seybald endort les requins-tigres

Le plus souvent, les scientifiques qui étudient les grands requins doivent les pêcher, les maintenir immobiles et les relâcher de longues minutes plus tard. À la Vallée Blanche, un site de plongée sous-marine renommé pour ses requins-tigres en Polynésie française, Pierrick Seybald, apnéiste, utilise une méthode spéciale pour les caresser et même les endormir afin de les protéger. Lorsqu’il arrive au contact, Pierrick place une main gantée sur le museau du requin. L’animal semble alors s’endormir, et Pierrick le retourne sur le dos, une position que les femelles n’adoptent que lorsqu’elles s’accouplent. Le plongeur ouvre la gueule du requin, y plonge les deux mains et ôte l’hameçon en quelques secondes. Il retourne ensuite la bête de plus de 500 kilos, qui se réveille aussitôt et s’éloigne d’un puissant coup de caudale. Cette forme de catalepsie, appelée immobilité tonique, est encore mal comprise. Elle semble liée à l’organe sensoriel des requins, appelé ampoules de Lorenzini, concentré sur leur museau. C’est un système de pores pleins de gel, sur la tête du requin, qui détectent les fréquences électromagnétiques à proximité, explique Kori Garza. Habituellement, les requins s’en servent pour détecter leurs proies, il est possible qu’ils les utilisent aussi dans leurs migrations, en utilisant les champs magnétiques de la Terre, précise-t-elle.

Que se passerait-il si les requins disparaissaient des océans ?

Comme le souligne Jenny Bortoluzzi, du département de zoologie du Trinity College de Dublin en Irlande, ces créatures sont donc d’une importance vitale pour la bonne santé de l’environnement marin. Vous les retrouvez en haute mer, dans les habitats de mangrove peu profonds, les récifs coralliens tropicaux, et même dans les eaux glaciales de l’Arctique. Bref, partout ou presque. Alors forcément, l’absence de ces incroyables prédateurs, petits ou gros, se ferait tout de suite ressentir. Tout d’abord sur de nombreuses populations de poissons, dont ils raffolent. En éliminant les proies les plus faibles, les requins veillent en effet au bon maintien des effectifs(compatibles avec les ressources de leur habitat). Ces poissons se nourrissant du plancton générateur d’oxygène, les requins participent donc également à la bonne régulation de la production de l’élément dans l’océan. Notez également que leur simple présence permet par ailleurs de repousser d’autres prédateurs. À l’instar des requins-tigres (Galeocerdo cuvier) évoluant dans les prairies d’algues marines, qui effraient les tortues. Évitant ainsi le surpâturage de la végétation. La présence des requins est également très importante dans les récifs coralliens. Si les requins disparaissent, les populations de petits poissons exploseraient, explique Toby Daly-Engel, du Shark Conservation Lab. S’ensuivrait une réaction en chaîne. Les micro-organismes consommés par les poissons viendraient ensuite à manquer, entraînant leur mort. Les algues et les bactéries investiraient ensuite les récifs, entraînant la mort des coraux. Il est également à souligner que certaines espèces de requins, comme le requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhynchos), nourrissent d’autres organismes en laissant derrière eux des excréments riches en azote. Certaines espèces sont également chassées par des prédatrices plus dangereuses encore : les orques. Plusieurs études ont en effet révélé que les cétacés raffolent du foie des requins, qu’ils extraient avec une précision chirurgicale. Les orques sont d’ailleurs tellement craintes par les requins que ces derniers désertent littéralement leurs aires de fréquentation dès que l’une d’entre elles débarque dans les parages. La disparition de ces créatures postées tout en haut ou presque de la chaîne alimentaire serait donc véritablement catastrophique pour le monde océanique. Malheureusement, on estime aujourd’hui que 25 % de toutes les espèces de requins sont actuellement menacées de disparition. La plupart sont victimes de la surpêche. Rappelons qu’environ 100 millions de poissons sont abattus chaque année pour satisfaire le marché asiatique. Le problème, c’est que les requins font peu de bébés, et sont très lents à mûrir. C’est pourquoi ils n’arrivent pas à compenser les pertes dues aux activités humaines.

Les requins-baleines de Madagascar : un nouvel espoir pour l'espèce ?

Le requin-baleine, le plus grand poisson au monde, est aujourd'hui en voie d'extinction, directement exposé à de nombreux risques dans nos océans, compromettant directement sa survie. À Madagascar, une importante population de requins-baleines a été identifiée par le « Madagascar Whale Shark Project ». En combinant la recherche au tourisme responsable, le projet propose une manière durable de protéger cet animal et son habitat. Le requin-baleine est un requin totalement inoffensif. Il a hérité de son nom du fait de sa grande taille, pouvant atteindre plus de 18 mètres, et de sa manière de s'alimenter. Le requin-baleine est inoffensif pour l'Homme. En effet, étant l'une des trois espèces de requin filtreur, il se nourrit exclusivement de zooplancton et des petits poissons en filtrant plus de 600.000 litres d'eau par heure par sa bouche et ses branchies. Malgré la présence de petites dents microscopiques, le requin-baleine est un requin gentil, curieux et surtout impressionnant par sa taille et sa robe aux mille points blancs. En malgache, le requin-baleine est connu sous le nom du « marokintana », le requin aux mille étoiles. Chaque année, les requins-baleines reviennent s'alimenter au même endroit et au même moment, le temps de quelques mois, afin de profiter de la présence de nourriture énergétique, qui leur permet de continuer leur croissance, comme les œufs de thons, le zooplancton ou les maquereaux juvéniles. Étonnamment, seuls les requins juvéniles, mâles, en majorité, reviennent se nourrir de manière saisonnière, comme aux Philippines, au Mexique, en Australie, au Mozambique, en Tanzanie et à Madagascar. Leur présence prévisible a donné naissance à un tourisme particulier, permettant aux touristes de nager avec les requins-baleines dans leur milieu naturel. Ce tourisme de plus en plus populaire peut bénéficier à la population locale et être un argument de taille pour protéger l'espèce et leurs habitats, s'il est géré intelligemment... En effet, malgré leur distribution dans plus de 19 pays, les requins-baleines sont, depuis 2016, une espèce en voie d'extinction sur la liste rouge de l'UICN. Depuis 2005, plus de 76 % de la population répertoriée au Mozambique a disparu, le canal du Mozambique étant pourtant l'une des zones les plus riches au monde en biodiversité marine.

Quelles sont les causes de sa disparition ? La cause exacte de leur disparition reste inconnue, mais entre la pollution plastique, la surpêche, la pêche accidentelle par les thoniers, les collisions avec les bateaux, et le réchauffement des océans, les risques sont largement répandus pour l'espèce qui atteint l'âge adulte vers les 30 ans seulement. Les observations de requins-baleines une fois adultes se font rares, l'espèce paraissant changer d'habitat et utiliser les profondeurs et les hautes mers, à la recherche d'un partenaire. Pouvant plonger à plus de 2.000 mètres et vivre plus de 130 ans, selon des études récentes, les requins-baleines peuvent rester sous l'eau pendant des mois entiers, ne revenant à la surface que pour se nourrir. On sait, suite à la capture d'une femelle enceinte en 1995 à Taiwan, que les requins-baleines sont ovovivipares, et peuvent donner naissance à, au moins, 304 petits. À ce jour, aucune autre information concernant la reproduction des requins-baleines n'est connue.

Comment les requins ont-ils survécu aux extinctions de masse depuis 400 millions d'années ?

Le requin est non seulement un redoutable prédateur, mais il présente une résistance hors du commun dans l'histoire du monde animal. Apparu au Dévonien il y a 420 millions d'années, à l'époque où les arbres et les dinosaures n'avaient même pas conquis la planète, il a survécu à quatre des cinq extinctions de masse qu'a connues la Terre, dont celle du Permien qui a pourtant vu disparaître 96 % des espèces marines et de 70 % des espèces terrestres il y a 252 millions d'années. Bien entendu, de nombreuses espèces de requins ont disparu au cours du temps, à l'instar du Stethacanthus avec sa curieuse nageoire dorsale en forme d'enclume à picots, de l'Helicoprion, qui possédait une sorte de spirale de dents à l'intérieur de sa bouche, ou du gigantesque mégalodondont la taille pouvait atteindre 20 mètres de long. Mais l'ordre des requins, qui appartient à la classe des chondrichthyens, a lui toujours résisté aux pires catastrophes. Plusieurs scientifiques tentent aujourd'hui d'expliquer cette survie exceptionnelle. Une des pistes réside dans son régime alimentaire : le requin avale tout ce qu'il trouve à portée de sa mâchoire lorsque la viande fraîche vient à manquer. La paléoécologiste Sora Kim, de l'université de Californie Merced, qui a étudié l'alimentation du grand requin blanc, explique ainsi avoir été surprise de découvrir que l'alimentation de ce dernier varie considérablement selon son habitat : pinnipèdes, thon, mais aussi pieuvres ou petits poissons. Même des innocents petits passereaux de jardinssont régulièrement au menu. Le requin-marteau tiburo, qui vit le long des côtes américaines, peut lui carrément devenir végétarien et brouter les herbes des fonds marins grâce à une enzyme spéciale lui permettant de digérer les végétaux.

Mais ce n'est pas tout : le requin résiste particulièrement bien aux changements environnementaux. À l'époque de l'Éocène, la terre était ainsi plus chaude de 9 °C à 14 °C qu’aujourd’hui, ce qui a provoqué la fonte des glaces et diminué la salinité de l'océan. De quoi entraîner la mort massive de nombreuses espèces marines, mais pas celle du requin, qui lui s'est parfaitement adapté à cette eau moins salée, a révélé une étude parue en 2014. Ce dernier a également résisté à une acidification sans précédent des océans qui a littéralement dissous le squelette des coraux, crustacés et mollusques. Les requins qui avaient alors pour la plupart des squelettes osseux, ont adopté un squelette cartilagineux comme les espèces actuelles. Ceux qui ont survécu étaient du coup beaucoup plus petits (moins de 10 centimètres de long) et ont regrandi par la suite. Le réchauffement des eaux ne semble pas non plus l'effrayer, et favorise même l'expansion de certaines espèces de requins comme le requin bouledogue qui s'est récemment installé dans le détroit de Pamlico en Caroline du Nord. Mais ce que la nature n'a pas réussi à faire, l'Homme y parvient avec une facilité déconcertante. Plus de 16 % des espèces de requins sont aujourd'hui menacées d'extinction selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Chaque année, plus de 100 millions de requins sont tués dans le monde, soit trois requins toutes les secondes, selon les conclusions d'une étude publiée dans la revue Marine Policy. L'un des plus vieux animaux de notre planète a ainsi vu sa population diminuer de 90 % entre 1950 et 2014.

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